Témoignage : travailler au pays du hygge
Vivre une carrière variée, riche et stimulante à l’étranger tout en ayant fait ses choix en priorité par rapport à la famille ? C’est possible, nous dit Fabienne Mourier, une Française d’origine installée depuis sept ans au Danemark après avoir bourlingué de l’Espagne à l’Angleterre, de la Belgique à la Malaisie. Dans ce pays connu pour son art de vivre — le hygge —, elle est aujourd’hui HR Director pour des marchés aux quatre coins du monde.
Après avoir bourlingué d’Espagne en Malaisie en passant par l’Angleterre, Fabienne Mourier vit depuis 7 ans au Danemark où elle est HR Director dans le groupe Carlsberg.
Découvrir le monde : cet objectif guide Fabienne Mourier dès son plus jeune âge. « Je viens d’Auvergne où j’ai grandi dans un petit village, confie-t-elle. Il était inconcevable pour moi d’y passer ma vie, voire même de simplement rester en France. Cet attrait pour l’étranger, pour la découverte d’autres pays, d’autres cultures et d’autres personnes, je l’ai toujours eu ! » Durant ses études en interprétariat et traduction, à Lyon, elle saisit l’opportunité de partir en Espagne. Elle fait aussi la rencontre d’un Danois qui allait, plus tard, devenir son mari. « En fait, je n’ai travaillé en tout et pour tout que six mois sur le territoire français. Dès que j’ai pu, je suis partie à Londres dans un poste de traductrice, chez Renault. »
L’étape suivante la mène en Belgique, où elle rejoint son mari. « Il montait son entreprise et, comme il travaillait sur toute l’Europe, il recherchait un endroit central lui permettant de voyager facilement. Je suis venue travailler avec lui dans l’entreprise, MFR Europe, spécialisée dans la distribution de matériel médical importé des États-Unis. J’y faisais de la coordination et du commercial. » Par la suite, la société est rachetée par une organisation américaine, Precision Dynamics Corporation, dont le siège est en Californie. « Nous avons commencé à engager de plus en plus de personnes sur notre site, à Nivelles. C’est alors que j’ai pris ce virage dans ma carrière vers les RH, non sans me mettre à niveau en suivant un Executive Master en gestion des ressources humaines à l’ICHEC. »
“Vivre et travailler en Belgique : est-ce déjà à considérer comme une expatriation quand on est Française ?” « On a tous les désavantages de l’expatriation sans en avoir les avantages, réplique-t-elle. On parle la langue. Les codes culturels sont proches. Mais on ne connaît personne. On n’a pas de réseau. Et la communauté de Français n’y est pas très soudée comparée à celle qu’on peut rencontrer dans un pays plus lointain, notamment en Asie. Même si on est juste ‘un peu plus au Nord’, la paperasse et les procédures sont complexes et très différentes. Bref, on est expatriés, mais sans avoir le choc culturel que j’aime tant quand j’arrive dans un autre pays ! Cela dit, je garde un excellent souvenir de mes années en Belgique, tant sur le plan professionnel que personnel… »
Par la petite porte
La grande expatriation intervient un peu plus tard. En 2013, la famille décide de faire un break et de partir en Asie. Sans contrat d’expatrié. Juste avec cinq ou six valises et… les deux enfants. « Mon mari avait beaucoup voyagé là-bas et nous avons choisi la Malaisie, une destination où la procédure d’obtention du permis de résidence n’était pas trop complexe, raconte-t-elle. À Kuala Lumpur, je n’ai toutefois pas pu obtenir de Visa de travail. Mais je pouvais faire du volontariat. J’en ai profité pour suivre une formation au Musée national et devenir guide. Le scénario parfait pour être au contact de la culture, de l’histoire et des locaux. » La période est intense. « J’ai également suivi une formation pour enseigner le français aux étrangers. Nous ne savions pas si la Malaisie allait être une étape ou si nous allions nous y installer durablement… »
Après un peu plus de deux ans, le couple se rend toutefois compte qu’il vit dans une bulle d’expatriés, et c’est particulièrement le cas des enfants. « Ne pas partager la vie quotidienne de la majorité de la population ne correspondait pas aux valeurs que je veux leur transmettre, indique-t-elle. Nous avons alors pris la décision de quitter l’Asie pour le Portugal. » Mais voilà : alors que la famille passe l’été dans sa maison de campagne au Danemark, la réflexion évolue. « Nous avons pris conscience que les enfants allaient devoir apprendre une quatrième langue et qu’ils n’avaient aucune attache ni françaises, ni danoises. Au final, vivre à Copenhague correspondait bien à nos valeurs, leur permettait de se connecter à leurs racines et cochait toutes les cases en matière d’éducation, de sécurité, de bien-être. »
Pas question cependant pour Fabienne Mourier de s’installer au Danemark pour y vivre la vie d’épouse d’expatrié. « Il y a pas mal d’activités qui peuvent vous tenir occupée. Mon mari n’était toutefois pas expatrié et… je voulais absolument travailler. Cela dit, trouver un poste en RH sans parler le danois paraissait impossible. » Grâce à sa maîtrise de l’anglais, de l’espagnol et du français, elle décroche alors un contrat chez Arla, la plus grande coopérative laitière du pays, pour la gestion de projets et la coordination des ventes. » Le côté routinier du job la plonge assez rapidement dans l’ennui. « Par pur hasard, j’ai trouvé un poste chez Carlsberg, mais au bas de l’échelle. Je l’ai vu comme une occasion de revenir en RH, même si c’était entrer par la petite porte. Mon manager m’a dit que, sur base des performances, une progression rapide était possible… »
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Focus diversité
Quatrième entreprise brassicole au monde, Carlsberg emploie près de 40.000 personnes. Suite à sa décision de se retirer de Russie et de mettre en vente ses importantes activités dans ce pays, l’effectif va toutefois diminuer de quelque 9.000 salariés. Arrivée dans le groupe en août 2018, Fabienne Mourier n’est pas déçue : après deux petites années, elle se voit en effet nommée Senior HR Business Partner. Puis, en janvier de l’année passée, HR Director pour Carlsberg Export & License, à savoir les marchés étrangers où Carlsberg ne dispose pas de production locale. « Ce qui recouvre des bureaux de vente aux États-Unis, au Canada, au Mexique, au Groenland, en Espagne, en Corée du Sud, en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis et en Australie. De toutes petites équipes en général, sauf au Canada où ils sont 60. En ajoutant l’équipe basée à Copenhague, le périmètre dont je suis en charge des RH compte environ 130 personnes. »
Son rôle ? Développer et implémenter les processus RH sur tout le spectre de l’employee lifecycle, pour une population très diverse et étendue géographiquement. « On n’a pas le même échange avec un Sud-Coréen qu’avec un Danois ou avec un Canadien, illustre-t-elle. Il faut sans cesse s’adapter. Ma motivation principale, c’est la découverte, la rencontre d’autres cultures, voire comment les gens peuvent être différents et travailler avec ces différences. » La diversité, l’équité et l’inclusion sont d’ailleurs un des sujets hauts à l’agenda du groupe. « Avec une forte attention portée à la représentation des femmes dans le leadership. Même ici, au Danemark, où l’on pense que c’est acquis. En réalité, ce ne l’est pas encore dans les grandes entreprises. »
Le groupe Carlsberg se démarque également par une forte culture de la performance. « De nombreux outils sont mis à disposition pour que tout le monde atteigne ses résultats. La structure se veut très plate, avec peu de hiérarchie, ce qui fait que les gens ont beaucoup de responsabilités et de taches différentes à gérer. L’esprit est très entrepreneurial. Mais il n’y a pas que les performances qui comptent. Quand on mène les évaluations annuelles, on s’intéresse également, et avec un même niveau d’intérêt, aux comportements adoptés pour réaliser ces performances. Il y a une prise en compte du what et du how, les deux ont une influence équivalente sur la note globale. »
Qualité de vie
Fabienne Mourier le reconnaît : vivre à Copenhague représente une situation privilégiée. « L’environnement constitue une priorité et on y met les moyens. Depuis que je vis ici, j’ai abandonné la voiture, par exemple. Je ne me déplace qu’à vélo. Les enfants se déplacent à vélo. » Le pays est particulièrement plat et compte 12.000 kilomètres de pistes et voies cyclables. Autre particularité : au Danemark, on ne peut pas se trouver à plus de 52 kilomètres de distance de la mer. « La qualité de l’air est fantastique, ici. Le système social est très généreux — impactant aussi ‘généreusement’ le taux d’imposition… La société est extrêmement sure. Il y a très peu de violence. Après, la société est aussi assez peu diverse, très uniforme. »
Une particularité locale, c’est l’art de vivre à la danoise, le hygge, qui permet de rester positif lors des longs hivers, alors que le soleil ne se montre que rarement. « Le hygge est une sorte de philosophie et s’inscrit dans un sentiment de bien-être lié à une ambiance conviviale et chaleureuse. Ainsi, une atmosphère, un lieu, un événement, une activité… l’art du confort et des plaisirs simples, comme avoir sa communauté, recevoir du monde, décorer son intérieur pour se sentir bien malgré les conditions rudes. On peut dire de tout cela que c’est hyggelig. L’esprit est également très présent en entreprise : on aime avoir de beaux environnements de travail, s’y sentir confortable, y compris par les vêtements que l’on porte. On voit particulièrement peu de cravates, par exemple. Le confort passe avant l’apparence, même si l’un n’empêche bien sûr pas l’autre… »
Ses conseils de survie pour les expats
- L’esprit, ouvert ! « Ne vous expatriez pas si c’est pour venir rechercher, une fois installé, votre petite France ou votre petite Belgique, votre camembert ou votre bière habituelle. Soyez au contraire curieux de tout. Essayez, testez, goûtez. Ouvrez votre esprit : il a tant de choses à découvrir, de réalités différentes à cerner, de pratiques alternatives à comprendre ou simplement à observer. Souvent, on arrive avec des idées en tête sur la destination, voire des a priori. Et on peut avoir d’excellentes surprises. »
- L’effort, inévitable ! « Il n’est jamais acquis qu’en débarquant avec vos valises, tout se mette en place naturellement, spontanément. L’intégration demande des efforts. Au Danemark, par exemple, on parle danois et on ne parle danois qu’au Danemark. Quand je suis arrivée, j’étais à un niveau zéro. J’ai pris des cours pendant deux ans. Parler la langue, au moins un minimum, est bien vu. C’est important également pour pouvoir comprendre son environnement et ce qu’il s’y passe. »
- L’agilité, essentielle ! « La clé, c’est de ne jamais rien prendre pour acquis, de ne pas arriver avec de gros sabots et ne pas imposer sa façon de travailler. Il convient d’être dans l’écoute et le dialogue. Et de faire preuve d’agilité, d’adaptation pour aussi saisir les opportunités liées aux différentes. »