Selon Unia, l’âge reste le principal facteur de discrimination à l’emploi
Âge, origine, genre, handicap… Autant de critères qui contribuent encore et toujours à exclure certaines personnes de l’emploi. Ou à leur y faire vivre l’enfer du harcèlement ou de la discrimination. Il est pourtant possible d’agir, de manière positive.
La lutte contre la discrimination et la promotion de la diversité sont au cœur de l’action d’Unia, l’ex- Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Rencontre (virtuelle) avec son co-directeur, Patrick Charlier selon qui, en l’attente cependant d’un gros travail d’objectivation, la crise sanitaire n’aurait pas conduit à une flambée de la discrimination.
Patrick Charlier, co-directeur d’Unia
De quoi parle-t-on, quand on évoque la discrimination dans le domaine de l’emploi ?
On vise trois phénomènes : l’accès à l’emploi (la difficulté de se faire recruter), l’exercice de l’emploi (harcèlement, refus de promotion…), et la fin de l’emploi (écartement précoce du marché). La législation identifie une vingtaine de critères de discrimination, parmi lesquels bien évidemment l’origine, le genre, l’âge, notamment.
L’âge, dites-vous, reste le principal motif de discrimination ?
Effectivement. Des études universitaires ont démontré, sur base de tests sur des offres d’emploi réelles, que le plus grand risque de non-réponse à une candidature était lié à l’âge, alors qu’on aurait pu croire qu’il s’agissait de l’origine. Dans notre Baromètre de la diversité consacré à l’emploi, il est établi que l’âge de basculement qui ouvre la porte à la discrimination arrive en fait très tôt, à savoir 47 ans, et peut effectivement conduire à être victime de préjugés relatifs au coût, à la productivité, à la capacité d’apprendre ou d’évoluer…
Curieux, vu les mesures visant à promouvoir le maintien à l’emploi de ces personnes ?
C’est d’autant plus paradoxal que certaines mesures allant dans ce sens accentuent en effet la discrimination : viser une meilleure protection contre le licenciement de celles et ceux qui ont un emploi provoque un effet délétère vis-à-vis de celles et ceux qui n’en ont pas, au sens où certains employeurs ne veulent pas recruter des personnes dont ils craignent ne pas pouvoir se séparer…
La crise sanitaire a-t-elle, globalement, accentué les phénomènes de discrimination ?
C’est un peu tôt pour se prononcer : ce sera étudié de manière approfondie pour notre prochain monitoring socio-économique, en 2022.
Ce qui ressort des premiers constats, cependant, c’est que la crise a diminué le nombre de dossiers qui nous ont été adressés en 2020, soit la première année affectée par le coronavirus.
Comment expliquer cela ?
Le télétravail a probablement exercé un effet positif, en protégeant certaines personnes du harcèlement sur le lieu de travail, ou en permettant à des personnes en situation de handicap de travailler selon des horaires et dans un environnement plus adaptés. Il y a à l’inverse des contentieux qui émergent, relatifs à des tensions sur le lieu de travail entre personnes vaccinées et non vaccinées, par exemple, sachant que l’employeur n’a pas le droit de poser des questions sur l’état de santé de ses salariés et qu’il demeure responsable du bien-être global de tous les salariés.
Pas d’impact de la crise sur le recrutement ?
Nous manquons pour l’instant d’objectivation, mais on peut imaginer que des personnes ont pu être victimes de situation compliquées : la fracture numérique a pu exclure certains candidats de procédures de recrutement effectuées à distance, tout comme l’impossibilité pour d’autres de libérer un endroit dans un petit logement pour postuler correctement. Nous allons étudier cela, notamment un éventuel effet de genre qui serait lié au fait que des femmes, coincées à la maison, auraient pu être davantage pénalisées que les hommes.
Comment objectiver la discrimination ?
Certains cas individuels se plaident facilement, par exemple lorsque nous avons accès à l’historique des échanges de mails : « il est trop vieux », « nous avons déjà suffisamment de Fatima dans l’entreprise ». Plus globalement, il nous semble pertinent que l’Inspection sociale puisse non seulement procéder à des tests en situation, mais aussi recourir au data mining afin d’identifier, de manière proactive, des secteurs où il existe des problèmes de discrimination à l’égard de certains profils. L’objectif ne doit pas nécessairement être la sanction, mais aussi la prévention : des mécanismes ou stéréotypes peuvent être à l’œuvre, dont les responsables de ces organisations n’ont, parfois, même pas conscience.
Quels sont les objectifs des organisations qui, d’initiative, s’adressent à vous ?
Nous proposons des modules de formation, nous avons conclu des partenariats, par exemple avec Actiris, et nous intervenons aussi parfois directement dans des entreprises qui cherchent à promouvoir la diversité en leur sein. Les motivations sont diverses : il s’agit certes parfois de ‘’window dressing’’, auquel cas c’est voué à l’échec, mais aussi et heureusement d’une réelle motivation. Parfois intéressée, dans la mesure où des études ont montré que l’accentuation de la diversité améliorait la performance des entreprises cotées, parfois dans la foulée de la prise de conscience d’une responsabilité sociétale ou à la suite d’un déclic lui-même consécutif à une plainte ou à l’identification d’un problème.
Que leur proposez-vous ?
Nous nous concentrons sur la tâche, sur ce qui est à faire : qu’est-ce qui coince, que faudrait-il changer concrètement ? Avec une condition : c’est que le top management soit impliqué. On ne change pas des procédures ou des mentalités du jour au lendemain, il faut parfois accepter de sortir l’organisation de ses rails, de penser ‘’out of the box’’, et cela requiert du temps, de l’énergie, et donc un appui de la direction. D’autant qu’il faut analyser toutes les implications : augmenter la diversité, certes, mais que fait-on si surgit ensuite un problème de harcèlement, quelle attitude adopte-t-on vis-à-vis de clients qui adopteraient un comportement inapproprié ? Toutes ces questions doivent être appréhendées, sous un spectre large, en amont.
Des exemples existent d’organisations qui ont fait de gros efforts de recrutement mais ont vu par la suite ces personnes les quitter car rien n’avait été prévu pour qu’elles s’y sentent bien.
Votre avis sur la discrimination… positive ?
Nous n’utilisons pas ce vocable, car la discrimination est interdite. Nous évoquons donc des actions positives, dont les conditions sont encadrées.
On peut donner la priorité à certains profils, à compétence égale, mais il faut que ce soit justifié par le constat d’une inégalité manifeste, objectivée par des chiffres, il faut que les mesures soient appropriées au regard de l’objectif poursuivi, qu’elles ne nuisent pas de manière disproportionnée à d’autres publics et qu’elles soient temporaires.
Quelques exemples de bonnes pratiques ?
L’obligation de parcourir prioritairement une liste de personnes en situation de handicap avant de chercher sur la liste générale si aucun profil ne correspond à la fonction, par exemple. Ou encore la limitation de l’accès à une procédure de recrutement, pendant 15 jours, à certains profils, avant d’élargir le spectre si on ne trouve pas. Ou encore la volonté de ne pas clôturer une procédure de recrutement tant qu’on n’a pas atteint, parmi les candidats, un seuil minimal de candidatures de certains profils qu’on souhaite prioritairement attirer afin d’augmenter la diversité.
Cela ne fonctionne pas toujours, ceci dit, auquel cas il faut remonter en amont en se demandant pourquoi on n’arrive à séduire que certains types de candidats et pas ceux que l’on souhaite pourtant attirer…
Benoît JULY