Pilotage d’entreprise : la curiosité n’est pas un vilain défaut
Les évolutions économiques et sociétales ont un impact sur la manière de diriger nos entreprises. Or, selon Menno Dellisse, coach et mentor en croissance personnelle et professionnelle pour dirigeants et entrepreneurs, nos organisations continuent bien souvent d’être régies par des principes dépassés. Face aux défis de la modernité, il plaide pour une autre vision du pilotage d’entreprise avec, en son centre, les notions d’exemplarité, de curiosité et d’intentionnalité.
D’emblée, Menno Dellisse observe que « ces dernières années, de nombreux facteurs, économiques et sociaux notamment, sont à l’œuvre. Ces tendances de fond changent notre manière d’approcher le développement et la gestion des entreprises. Elles sont particulièrement liées à la volonté d’une nouvelle génération de réinventer la manière d’entreprendre, avec un désir de plus d’altruisme, de créativité, de liberté et de sens. »
Lucide, notre interlocuteur déplore néanmoins que ces aspirations se heurtent à des habitudes bien ancrées : « Ce nouveau paradigme ne s’impose que graduellement, avec une lenteur plus marquée au sein des grandes entreprises, où règnent souvent l’inertie et la pesanteur hiérarchique. Ces obstacles trouvent leur origine plus globalement dans la société ; nous restons emprisonnés dans un carcan de certitudes et habitudes conscientes et inconscientes, hérité de notre passage par le système scolaire. »
Une société trop ankylosée
Menno Dellisse le constate par exemple avec ses propres enfants : « Bien qu’ils soient dans une école à pédagogie dite ‘active’, la méthode d’apprentissage consiste principalement à faire entrer les connaissances ; on tient peu compte des singularités de chacun et on demande à tous une régurgitation mécanique. Le fait de ne pas disposer de ces connaissances, de ne pas ‘savoir’, est souvent puni ; or, c’est en se posant des questions qu’on progresse ! Je ne mets évidemment pas en cause les mérites des enseignants à titre individuel, mais le système d’enseignement en tant que tel. »
Dans ces conditions, soutient-il, « on ne s’étonne guère de retrouver une telle pesanteur, une telle ankylose, dans la gestion des talents. Nous restons imprégnés par les mêmes philosophies de stratégie des relations humaines, qui ne favorisent pas l’épanouissement des individus au sein des institutions. On trouve par exemple beaucoup de stages d’initiation, mais très peu de stages de perfectionnement. C’est symptomatique : on tend sans cesse vers des profils types, sans faiblesses… mais sans véritable points forts non plus ! Or, il est bien plus porteur d’avoir la bonne personne à la bonne place dès le début, pour lui permettre ensuite de se perfectionner, qu’essayer de combler des lacunes éventuelles. Dans ce dernier cas, c’est beaucoup plus énergivore et cela a des répercussions sur le moral et les performances. Difficile de ne pas faire le lien avec la multiplication des cas de burnout. »
Curiosité est mère de clarté
Loin de se laisser submerger par une quelconque forme de défaitisme, Menno Dellisse offre aux chefs d’entreprise des pistes pour naviguer à travers ces eaux troubles, avec l’exemplarité comme gouvernail. « Dans le domaine du pilotage d’entreprise, j’aime faire la distinction entre le management, une démarche purement technique qui s’appuie sur des outils, et le leadership incarné, basé sur l’exemple personnel, le charisme. Bien qu’elle ne soit pas de tout repos, cette dernière approche donne des résultats bien plus inspirants et pérennes. »
Pour un dirigeant, devenir la référence dont s’inspirent ses subordonnés implique bien entendu un important travail sur soi. « Il faut prendre de la distance par rapport à tous nos a priori, cultiver notre curiosité et éviter d’être dans le jugement. Une telle ouverture permet de gagner une perspective assez inédite dans le monde plutôt conformiste du business. Tout d’abord, elle garantit une certaine clarté dans la vision de la mission de l’entreprise. Ensuite, elle permet de voir de façon plus granulaire ce qu’il se passe dans l’environnement concurrentiel. C’est ce genre d’approche qui est à la source des innovations : on connaît ce qui existe… et ce qui manque ! Et chacun a conscience de l’importance d’innover pour assurer la pérennité d’une société. »
Quand vouloir c’est pouvoir
Menno Dellisse avance une autre idée : « En termes de stratégie d’entreprise, il importe d’être transparent dans ses objectifs. L’intentionnalité représente un concept fondamental : il faut se donner des buts précis et articuler ses actions pour les atteindre. Si je suis un dirigeant désireux de faire croître le chiffre d’affaires de ma société, il me faudra établir une feuille de route qui comportera un volet d’investissements, des efforts à mettre en œuvre… mais aussi des coûts. Etant donné que mes moyens d’action ne sont pas illimités, il y aura nécessairement une part de renonciation. »
Cette notion est tout aussi indispensable dans les relations avec les employés. « La plupart des sociétés pourraient bénéficier de plus d’intentionnalité dans la façon dont elles dirigent leurs actifs principaux », estime Menno Dellisse. « Paradoxalement, on est dans un système qui ne favorise pas cet état d’esprit. Par exemple, en comptabilité, le personnel n’est pas classé comme un actif, mais comme une charge. En réalité, c’est tout l’inverse ! Bien sûr, pour qu’il en soit ainsi, il faut faire en sorte que chaque membre du personnel soit dans sa zone de talent, qu’il puisse tirer le meilleur parti de ses forces et compétences spécifiques. »
Mise en pratique
Comment appliquer concrètement ces principes de clarté et d’intentionnalité ? « Le plus important est de mettre en adéquation la fin avec les moyens. Si je me fixe comme objectif de courir un marathon de 42 Km en 2h45, je suis bien conscient de me lancer un défi exigeant des efforts considérables. En conséquence, j’adopterai une stratégie adaptée aux enjeux en me donnant toutes les chances de réussite. Je consulterai par exemple un ostéopathe et un médecin du sport, pour être suivi par des professionnels, en plus d’être attentif à ma nutrition, à mon sommeil, à mon état d’esprit, etc. Bien sûr, cela occupera la majeure partie de mon temps libre. En revanche, si je désire commencer par quelque chose de plus facile, comme parcourir la même distance en quatre heures, je ferai peut-être les choses seul sans expertise extérieure. »
Le même raisonnement s’applique aux nombreux défis de la vie professionnelle, dont celui de la gestion du personnel : « Imaginons que les performances d’un collaborateur ne donnent pas pleinement satisfaction. Dans une telle situation, la première étape consiste à s’interroger si on s’est montré à la hauteur de son devoir de leadership, ce que j’appelle le ‘principe de responsabilité radicale’. Ce n’est qu’ensuite, si l’on estime avoir accompli correctement ce travail de dirigeant, que l’on peut se demander si le talent en question est au bon poste. »
En conclusion, Menno Dellisse insiste sur quatre piliers indispensables qu’il s’agit, à ses yeux, d’appliquer de façon transparente et déterminée en matière de gestion des ressources humaines : « Premièrement, il faut s’assurer d’avoir été clair dans le job description, d’avoir bien communiqué toutes ses attentes. Ensuite, il est nécessaire de se pencher sur le déroulement de l’onboarding, car c’est souvent à ce niveau qu’il y a des lacunes, qu’on ne prend pas le temps de former les nouveaux arrivants. Puis, on doit accompagner les personnes, prendre le temps de faire du coaching. Enfin, il y a lieu d’offrir une évaluation tout au long de l’année, pas seulement lors d’une réunion protocolaire. C’est ainsi qu’on donne l’envie et la possibilité aux gens de s’améliorer. »
Menno Dellisse, coach et mentor en croissance personnelle et professionnelle pour dirigeants et entrepreneurs
Plus d’infos : www.grwr.co