Le chemin vers l’artisanat d’art, en vitrail de compétences
De l’univers de la production d’identité visuelle sur écran à la création de fresques de verre à la main et en atelier, la vocation de cette artisane engagée s’est révélée progressivement, en « mosaïque » d’expériences significatives.
Son parcours s’ancre en France, mais le questionnement qui l’a menée à fabriquer son équilibre pièce après pièce est universel : quels besoins comblent nos choix professionnels ? Après un Bac en Sciences Humaines, Raphaëlle Collette a intégré une Hypokhâgne, a obtenu une Licence d'histoire, une Maîtrise de sciences politiques, un Master en relations internationales à New York, puis un Diplôme d'études supérieures spécialisées en communication politique. « A l'époque, je visais le journalisme, mais sans vraie conviction. Je suivais un parcours universitaire dans des filières intellectuelles pour répondre aux attentes de mes parents, alors qu'au fond de moi, je rêvais de travailler de mes mains. Après un stage en journalisme, j'ai rapidement bifurqué vers la production et l'identité visuelle appliquée aux médias. J'ai notamment travaillé sur la charte audiovisuelle du groupe Renault, j'ai fait du marketing d'antenne pour diverses chaînes de télévision.
Cette orientation, plus artisanale, me convenait mieux. J'étais productrice artistique, je défendais des projets créatifs et mon quotidien n'était finalement pas si éloigné de mon activité actuelle, en tout cas dans l'intention. J'ai beaucoup appris sur la logistique, l'organisation de production, la tenue de plannings. J'ai exercé ce métier pendant plus de 15 ans. Quand j'étais dans l'action je me sentais bien, mais inconsciemment, je percevais que je n’étais pas tout à fait ma place. Quand je rentrais le soir je me sentais obligée de me coucher tard, parce que j'avais l'impression que je devais encore accomplir quelque chose, comme si ma vraie vie commençait après 20 heures. Aujourd'hui accomplie dans une nouvelle voie, je profite du temps qui m'est offert et je me couche tôt. » Pour cette artisane dans l'âme, le processus de conscientisation du besoin de reconversion a pris une dizaine d’année, accélérée par un changement d'entreprise en 2015. « Je me suis vu confier plus de missions uniques et ponctuelles, je travaillais moins sur la construction de stratégies pérennes, avec des budgets plus serrés. Mon métier avait beaucoup changé, avec l'émergence d'une importante concurrence et de nouveaux outils digitaux qui segmentaient la production. » Pour reconnecter avec sa passion du « faire », Raphaëlle a lancé à la même époque une marque de bijoux, un projet test d'artisanat d'art, en parallèle de son travail. Mais cette expérience, qui impliquait un grand nombre d'heures pour aboutir à une échelle de réalisations trop limitée, ne lui convenait pas. « J'aspirais déjà à me lancer dans les arts décoratifs. »
La goutte d’eau et le morceau de verre
Confrontée à une pression intense, la jeune femme était débordée. Un vendredi soir de novembre 2019, apprenant un nouveau délai raccourci, elle craque. Elle consulte un médecin, est mise en arrêt de travail. « Je pensais revenir au travail au bout d'une semaine, et finalement, je n'y suis jamais retournée. Les jours passaient et je savais que je ne pourrais plus jamais refaire ce métier. Cette prise de conscience mûrissait depuis des années. Partir, ça n'est pas forcément une fuite, parfois, c'est un élan vital. Dans la foulée, nous avons déménagé et je me suis beaucoup investie dans la décoration de la maison. Il était clair que je me dirigeais vers l'artisanat d'art. J'ai suivi plusieurs ateliers, parmi lesquels le travail du vitrail. Et là, j'ai su que j'étais au bon endroit. Le verre est un matériau fascinant. Déjà à l'époque où je fabriquais des bijoux, j'utilisais des perles en verre du Japon.
Dans mon ancien appartement, je m'arrêtais toujours dans la cage d'escalier pour regarder la lumière qui traversait des carreaux de verre coloré. Je n'avais jamais oublié les Daum et les Lalique qui étaient disposés chez mes parents. » Raphaëlle a alors entrepris un CAP Arts et techniques du verre à Paris, suivi parallèlement des cours du soir dans un lycée technique spécialisé dans la matière, et différentes formations reconnues dans des ateliers de vitrail privés. Elle a obtenu son CAP en 2020 et monté directement son propre atelier. « On dit qu'il faut 10 ans pour maîtriser un métier d'art. J'ai donc multiplié les projets et les cours, notamment auprès d’un Fab Lab pour intégrer les outils numériques à ma pratique. J'ai aussi suivi une formation avec l'association « Artisans d'avenir », qui enseigne tout ce qui ne concerne pas l'artisanat même : le marketing, la gestion… Il est important de s'entourer quand on est artisan, d'être en contact avec d'autres. C'est aussi pour cela que je travaille dans un atelier partagé avec deux autres artisans ».
Les mains et l’esprit libres
Pour les gros projets, elle fait désormais appel à des consœurs et à des confrères. « J'ai rapidement été sollicitée pour des chantiers importants, grâce à l'un de mes professeurs qui partait à la retraite et qui m'a en quelque sorte passé le flambeau. » En quelques années, Raphaëlle a créé des vitraux pour la salle du restaurant La Pérouse à Nice, elle a conçu tout un plafond en vitraux pour un restaurant à Paris, elle élabore des projets pour des brasseries, et pour des commandes de particuliers. « La charge de travail reste conséquente, mais j'ai installé mon atelier à deux pas de chez moi. Je suis intégrée localement, mes journées sont plus fluides, plus reposantes, et surtout plus satisfaisantes. Financièrement, c'est complètement différent. Comme je suis indépendante, il demeure une certaine part d'incertitude, mais finalement, tout s'équilibre. » Une pièce après l’autre, transparentes et soudées.