La main à la pâte
En Belgique, quelles sont les opportunités de travail pour les personnes porteuses d’un handicap ? Quel est l’impact du travail sur leur développement et épanouissement ? À Waterloo, une boulangerie change la donne à coups de petits pains et d’éclairs au chocolat.
Grain de Vie est au premier abord une boulangerie tout à fait ordinaire. À l’étalage, des pains, des viennoiseries et des sandwichs pour le lunch. Dans la boutique, une petite table pour s’installer le temps de boire son café. Et pourtant, si l’on pousse la petite porte située derrière le comptoir, on trouve un réel projet communautaire et social dirigé par des bénévoles au profit de personnes porteuses d’un handicap mental léger à modéré.
Le projet est lancé par un couple d’Italiens dans leur garage à la fin des années 90. 26 ans, un bâtiment et des rénovations plus tard, la boulangerie se compose de 40 bénévoles, deux boulangers, deux éducateurs et accueille une quinzaine de bénéficiaires. Isabelle Stas y est administratrice et trésorière bénévole. Polyvalente, elle met régulièrement la main à la pâte (littéralement) pour venir en aide à ses collègues.
Grain de Vie prend en charge des jeunes sortant de la vie scolaire et leur apprend à entrer dans la vie adulte. Le but n’est donc pas de leur donner un point de chute, mais de servir de tremplin pour qu’ils puissent ensuite se diriger vers un volontariat ou un emploi à long terme. Pour que cela fonctionne, l’accent est mis sur le développement d’un projet que les éducateurs et bénévoles aident le bénéficiaire à mettre en place. Il peut s’agir de la recherche d’un appartement en autonomie, d’un travail bénévole ou rémunéré, du moment qu’il pousse le jeune vers l’avant. Grâce à ce projet, les bénéficiaires peuvent développer leurs compétences et leur indépendance pour se lancer dans la vie adulte avec toutes les cartes en main.
Pour leur apporter l’autonomie dont ils ont besoin, il est essentiel que les bénévoles et employés de l’établissement traitent les bénéficiaires comme des adultes. « Il est vrai que parfois, je tombe des nues quand j’apprends leur âge. Ils ont l’air plus jeunes qu’ils ne sont, avoue Isabelle, mais nous essayons de les responsabiliser, de leur montrer qu’ils sont adultes, même si nous sommes là pour les guider. » Cela signifie s’adresser à eux directement pour toutes les communications ou décisions administratives, et non à leurs parents. De cette façon, les bénéficiaires commencent à prendre conscience de leur autonomie. Certains ont dû apprendre à utiliser seuls les transports en commun pour se rendre à la boulangerie. « Ce qui nous importe, c’est qu’ils puissent progresser, » explique Isabelle, « si un matin ils ne sont pas bien et ne peuvent pas venir, ils doivent nous écrire ou téléphoner eux-mêmes. Cela leur apprend les réalités du travail. »
Au sein de la boulangerie, les bénéficiaires ne sont pas limités à une seule tâche ou qualification, l’ASBL préférant les faire tourner entre l’atelier, la cuisine, la sandwicherie et, pour certains d’entre eux, le magasin. De cette manière, ils peuvent faire l’expérience des différents aspects du travail en boulangerie.
Isabelle insiste néanmoins sur le fait que l’autonomisation des bénéficiaires est plus importante que le travail en boulangerie en lui-même. « Bien sûr, ils apprennent le métier de boulangerie, mais pas dans l’idée qu’ils seront engagés dans une boulangerie. » Le travail de la pâte se présente plus comme un prétexte, trouvé par hasard par les fondateurs de Grain de Vie, mais néanmoins très intéressant, car il fait appel aux cinq sens. « Quand on est nerveux, souvent on a envie de chipoter pour se distraire. Ici, on malaxe la pâte, il y a quelque chose d’apaisant. » Et pour les bénéficiaires qui, en plus de leur handicap mental éprouvent des difficultés au niveau de la psychomotricité, ce travail physique est d’autant plus bénéfique.
Un accompagnement qui porte ses fruits
L’accompagnement au sein de Grain de Vie n’est pas censé former des boulangers mais, parfois, un bénéficiaire sort du lot. C’était le cas de Vincent, qui a travaillé chez Grain de Vie pendant près de 10 ans. Quand il est arrivé, il parlait peu et était timide. Au fil du temps, il s’est ouvert et a pu travailler en boutique, en interaction avec les clients. Comme il montrait un potentiel considérable, il a été coaché dans une chocolaterie waterlootoise deux jours par semaine. Lors de ses jours chez Grain de Vie, il était formé par le boulanger en suivant les demandes du maître chocolatier. Il s’agissait donc d’une réelle collaboration entre les deux établissements.
Thomas travaille chez Grain de vie depuis 2012. Son accompagnement au sein de l’ASBL lui a permis de prendre confiance en lui et en ses capacités. Il a d’ailleurs emménagé en collocation à Bruxelles en début d’année, une première expérience de vie indépendante qui lui plaît beaucoup. Une autre bénéficiaire, Natale, vient depuis 2014 à raison de 3 jours par semaine. Ce qu’elle préfère, c’est travailler à la cuisine, ou dans la boutique, en interaction avec les clients. En dehors de la boulangerie, Natale est bien occupée, notamment au Silex, un centre d’éducation permanente situé à Woluwe-Saint-Lambert ou Transition à Forest.
D’autres bénéficiaires de l’ASBL sont partis au CPAS pour aider à servir les repas, dans une bibliothèque, en librairie ou encore dans une école. « Parce qu’ils ont été coachés ici et ont appris ce qu’était la vie d’un travailleur, ils ont trouvé du travail rémunéré ailleurs, confirme Isabelle avec fierté, tous n’y arriveront pas, mais on espère pour eux qu’ils le fassent. »
Bien souvent, la difficulté ne se trouve pas dans les compétences des jeunes porteurs de handicap, qui sont très performants dans les tâches pour lesquelles ils ont été formés, mais dans la recherche du bon établissement pour les engager. « On se rend compte que dans les faits, c’est très difficile, déplore l’administratrice, il est parfois difficile d’accepter que les personnes en situation de handicap travaillent à un rythme moins soutenu. »
Le travail, outil de valorisation et moteur de fierté
La notion de travail est essentielle pour l’épanouissement des personnes en situation de handicap. Plus encore que les activités occupationnelles (bien que nécessaires) souvent proposées pour remplir leurs semaines. « Chez Grain de Vie, on vend des produits qu’ils ont créés de leurs propres mains. Quand ils voient que ce qu’ils font est vendu et apprécié par les clients, c’est une fierté, » explique l’administratrice qui remarque une amélioration nette dans l’acclimatation sociale des bénéficiaires grâce à leur travail dans la boulangerie. « Il y a toujours des journées plus difficiles que les autres, mais ils prennent confiance en nous et surtout en eux-mêmes. Le progrès est flagrant. »
Bien que Grain de Vie ne soit pas une boulangerie traditionnelle, leur boutique est tout à fait conventionnelle et les maîtres boulangers tiennent absolument à ce que la marchandise soit de bonne qualité. Satisfaire un client du produit qu’il achète fait partie intégrante du travail. Non seulement, cela permet de faire évoluer les mentalités, mais également de changer l’image que les personnes en situation de handicap ont d’elles-mêmes. « Il y a du progrès, admet Isabelle, on comprend de mieux en mieux le monde du handicap et le potentiel que ces personnes ont. Il faut qu’ils puissent, non plus être occupés mais travailler. Qu’ils aient un but, un objectif. Rémunéré c’est encore mieux, pour se soutenir financièrement, mais aussi pour la reconnaissance, d’être payé pour leur travail. » L’ASBL Grain de Vie continue d’assurer que les personnes porteuses d’un handicap mental sont capables de faire beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire et représentent une réelle plus-value pour une entreprise qui prendrait le temps de les intégrer.