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Inouï : des mois de congés rémunérés !

Rédigé par: Philippe Van Lil
Date de publication: 18 janv. 2024

Incroyable mais vrai ! Des entreprises offrent désormais à leurs salariés des congés rémunérés de quelques semaines à plusieurs mois, en plus de leurs congés payés classiques. À l’heure où l’on parle de plus en plus de bien-être des travailleurs, de droit à la déconnexion et d’équilibre vie professionnelle-vie privée, la formule a de quoi séduire. Et tout le monde peut en tirer des bénéfices…

congés rému

Certains appellent cela des « congés respiration », d’autres des « congés priorité personnelle », d’autres encore tout simplement des « congés sabbatiques rémunérés ». Le principe est simple : permettre aux salariés comptant plusieurs années d'ancienneté de s'absenter de quelques semaines à douze mois, en percevant tout ou partie de leur salaire.

Remercier et respirer

Si l’idée paraît audacieuse, elle n’est pas tout à fait neuve pour autant. Elle trouve son origine dans la Silicon Valley où, dès 1970, des entreprises high tech entendaient déjà octroyer des congés sabbatiques à leurs employés pour leur permettre de prendre du temps pour eux et revenir plus motivés.

Début des années 2000, Google poursuivit dans la même veine en lançant son programme « Google Sabbatical » ; il permettait de prendre jusqu’à six mois de congés payés pour s’adonner à des projets personnels. Facebook mit également en place son « Facebook Career Break », mais ici, les congés n’étaient pas rémunérés. Depuis lors, outre-Atlantique, bon nombre d’autres entreprises, comme PayPal, ont marché dans les pas de ces pionniers pour offrir de véritables congés longue durée entièrement ou partiellement rémunérés.

Quels sont les objectifs d’un tel congé ? Remercier les salariés les plus fidèles pour les résultats engrangés, mais aussi leur procurer une bouffée d'air frais afin de se ressourcer et revenir reboostés au boulot. Comme le précise Morgane Merveille, Avocate associée chez Yelaw, d’autres raisons encore incitent les entreprises à accorder ce type de congés : « En Belgique, où la formule commence timidement à apparaître, on sait qu’il y a de moins en moins de possibilités d'optimaliser la rémunération. L'administration fiscale et la sécurité sociale donnant une définition très large à la rémunération, tout est quasiment considéré comme des revenus professionnels imposables et soumis à l'ONSS. Ce type de congé longue durée est finalement facile à mettre en place du point de vue de la fiscalité et de la sécurité sociale. »

Une opération win-win… win !

Notre interlocutrice évoque aussi l’équilibre vie privée-vie professionnelle : « Les employés en sont de plus en plus demandeurs, sans forcément exiger une rémunération supplémentaire ; finalement, celle-ci est un bonus fort taxé, soumis à cotisation de sécurité sociale et représentant un coût important pour l'entreprise. Le ‘congé respiration’ est un excellent outil pour permettre de s'échapper un peu du monde professionnel, de se retrouver en famille, de se lancer dans des projets qui nous tiennent à cœur depuis longtemps… tout en étant rémunéré chaque mois. » On peut aussi imaginer qu’en se posant de la sorte, le travailleur peut réfléchir plus aisément à la suite qu’il désire donner à sa carrière et profiter de cette période pour atteindre ses objectifs en acquérant de nouvelles compétences.

Il est vrai que dans une société où tout s’accélère, où les individus enchaînent sans discontinu études et travail, parfois en devenant parents, sans véritables périodes de break, ce type de congé peut constituer une belle opportunité. Sans doute éviterait-on aussi certains cas de burnout et de maladies de longue durée. Avec finalement une opération win-win-win pour le salarié, l’entreprise et l’État.

Partir pour mieux revenir et rester

Même si la formule est encore fort méconnue et appliquée en Belgique, Morgane Merveille témoigne du fait que « les quelques employeurs qui ont eu la bonne idée de mettre en place ce congé en sont absolument ravis. Pour eux, c’est un excellent outil pour la rétention du personnel. De nos jours, les jeunes employés ayant presté quelques années dans une entreprise ont souvent l'envie de changer et de vivre de nouvelles choses. Ce type d’avantage participe activement à les fidéliser. » Il permet aussi bien entendu d’améliorer l’image et la réputation d’une société - sa marque employeur - et de recruter de nouveaux collaborateurs.

Au rang des bénéfices, on peut aussi citer l'émergence de nouvelles idées et le lancement de nouveaux projets lorsque le travailleur fait son retour dans l’entreprise. On mise ici sur le fait qu’il reviendra riche d’expériences ou de connaissances qui, cumulées à une période reposante pour l’esprit, faciliteront le déploiement de sa créativité, couplée à une solide dose d’énergie.

Avec ou sous conditions

En France, en lançant le mouvement au cours des deux dernières années, des entreprises comme Orange ou Accenture ont bien compris les avantages de la formule. En Belgique, quelques organisations ont commencé à emboîter le pas. Selon quelles modalités ? « Chez nous, certains employeurs octroient un congé de trois mois, estimant que deux mois, c'est un peu court et que quatre mois, c'est un peu long. Bien qu’il n’existe aucune loi ou aucun cadre légal spécifique qui régisse ce type de congés, il est évident que même si le travailleur continue à percevoir tout ou partie de sa rémunération, certains avantages ne pourront pas être maintenus durant cette période, notamment les titres-repas ou les forfaits de frais. En revanche, l’employeur peut décider de laisser le véhicule de société à la disposition du salarié. »

Vu l’absence de cadre réglementaire, l’employeur peut aussi décider d’imposer ou non certaines conditions assorties à ce congé. Il peut par exemple demander au salarié de préciser la nature de son projet - partir en voyage, rénover sa maison, exercer une activité extra-professionnelle, etc. - ou exiger qu’il s’engage dans une action ou une association sans but lucratif, qu’il suive une formation et développe de nouvelles compétences, qu’il mette son expérience à la disposition d’une start-up ou d’une PME via du coaching, bref qu’il s’engage dans un type d’activité extra-professionnelle représentant une valeur ajoutée. Le plus souvent, le travailleur doit aussi déjà compter au minimum cinq années d’ancienneté dans l’entreprise.

Une mise en musique harmonieuse

L’absence de cadre légal ne doit évidemment pas mener à faire les choses n’importe quand et n’importe comment. « Il est important que ce type de congé soit correctement mis en musique au niveau de l'entreprise. Ajouter simplement une clause dans un contrat qui stipule qu’après cinq ans, l’employé a droit à trois mois de congé ne suffit pas. Il faut aller un peu plus loin, en mettant en place une réelle politique d'entreprise relative à ce congé, en se posant les bonnes questions et en fixant des règles au sein de l’entreprise. »

Morgane Merveille évoque par exemple le cas d’une société ayant mis en place une police dans laquelle le travailleur doit prévenir son entreprise six mois à l'avance s’il veut prendre ses trois mois de congé. « En outre, dans ce cas-ci, l’employeur a le droit de reporter les dates du congé pour des raisons objectives, notamment si cela pose un problème au bon fonctionnement de son entreprise. Cet encadrement est nécessaire pour ne pas se retrouver dans des situations compliquées où tout le monde voudrait prendre son congé en même temps et où l’entreprise serait confrontée à un manque de main-d'œuvre. »

morgane merveille [square]

Morgane Merveille - Avocate associée chez Yelaw