En entreprise aussi, guider en premier de cordée !
Complimenter, avertir, mobiliser ou observer ? Pour le guide, beaucoup de choses se jouent dans la nature de la relation qu’il entretient avec son client. Il s’agit sans cesse d’écouter, de s’adapter, de repenser les interactions et les silences pour guider au mieux vers le sommet. Mais il s’agit aussi, au moment critique, de permettre de mobiliser le maximum des capacités de la cordée pour franchir le crux*, réussissant parfois au-delà de ce que chacun s’estime capable d’accomplir.
Nous avons observé que les guides de haute montagne ont développé des compétences particulières en matière de management. Cela nous a poussé à créer Mountain Path, un cabinet de conseil qui accompagne les organisations sur des sujets de leadership et qui appuie ses interventions sur des expériences de terrain en montagne.
Convaincu que le style de management du guide a beaucoup à transmettre aux dirigeants, nous en avons extrait quelques essentiels, riches de plus de 200 années d'évolution et d’ajustements. Le savoir-faire et le savoir-être des guides vis-à-vis de leurs clients a été mis à l’épreuve du temps, des individus et des dangers pour aboutir à une forme épurée et efficace d’accompagnement.
En effet, le management des guides se résume finalement à la base étymologique du concept : La Main ! Libre de tout modèle de pensée, de tout organigramme ou plan de développement ; libre également de tous les sens complexes et clichés qu’on a pu attribuer à ce vaste lieu commun des discussions et sujets d’entreprise, le guide manage car il guide simplement avec la main.
C’est presque trop simple pour être qualifié de management, et pourtant il s’agit pour nous de l’essentiel : être là, à portée de main. Maintenir une interaction de soi à l’autre et de l’autre à soi, cela suffit ! C’est une conviction simple et pourtant extrêmement difficile à incarner et à déployer. C’est le gain principal que viennent chercher les entreprises et organisations qui font appel à nous. Au-delà du team building, et bien plus élaboré qu’un amusement partagé, il faut réapprendre à se rencontrer dans la sincérité du lien.
Pour que le guide puisse rapidement et efficacement créer ce lien de confiance avec son client, il doit donc composer et ponctuer son management de plusieurs formes de leadership. C’est en adaptant son style à la situation et à l’état de forme de son client qu’il stimulera chez lui ce qu’il y a de meilleur, mais surtout ce qu’il y a chez lui de plus ajusté aux circonstances.
En collaboration avec Robert Weiss et Michel Frisque, nous avons identifié quatre formes principales de leadership avec lesquelles le guide va pouvoir composer :
● Le leadership de soutien est exercé par le guide par effort d’empathie. Il écoute, il questionne, il regarde, il prend le temps de perdre le temps pour que le client se sente compris. Une bonne intelligence émotionnelle fait la différence lorsque ce style de leadership est nécessaire.
● Le leadership de contrat est souvent utilisé par le guide lorsqu’il a besoin de l’adhésion de la volonté de son client. Le feeling ne suffit pas face à la complexité de la situation et chaque décision est étudiée de manière rationnelle. Pour user de ce leadership, un cadre doit être posé, des explications claires doivent être données, le parcours de progression doit être structuré, alors le contrat peut être établi. Le client et le guide prennent ensemble une décision rationnelle et pesée.
● Le leadership d’inspiration vient lui insuffler une dose d’énergie dans la relation. Il est toujours bâti sur un projet, un sommet. Le guide fait appel à un imaginaire, à des valeurs et de hautes aspirations pour stimuler une adhésion à une vision ou une passion pour un cheminement. L’idée est surtout de libérer le potentiel du client et de l’inviter à mobiliser des compétences et capacités jusqu’alors dissimulées et dont le guide ignore même la nature exacte.
● Le leadership de challenge peut être sous-jacent aux trois styles précédents mais il est surtout utilisé pour exploiter des opportunités ou mener la conquête d’un objectif
précis. Le guide parle alors au courage, à l’ambition et à la fierté du client. C’est un défi qu’il propose et qui vient stimuler la soif de réussite de son interlocuteur. Le jeu doit en valoir la chandelle, sans pour autant brûler des ailes.
C’est la responsabilité, le travail et l’expertise du guide qui lui permettent d’alterner les différents styles de leadership et ainsi colorer son management de différentes sources de motivation. Cette aptitude à mener le client d’une main parfois forte, parfois douce, parfois distante, est déterminante pour lui. En effet, de l’implication, de l’énergie de son client dépendent bien souvent : la réussite de l’ascension, l'expérience commerciale de ce dernier mais également leur vie à tous les deux. La haute montagne étant un lieu hostile où il faut apprendre, et vite, à faire cordée !
En entreprise, on ne parle pas de guide mais de leader, de manager, de N+1, de responsable, on ne parle pas de client ou d’usager, mais de collaborateurs, d'employés, de subordonnés ou de N-1. Derrière ces différentes sémantiques se cache une vision de la relation déterminante pour l’équipe. Atteindre un objectif, fédérer autour d’une vision, développer des compétences et répartir des missions font partie des enjeux quotidiens de n’importe quel manager ! Un “mainagement” variant les styles de leadership, qui a fait ses preuves dans le milieu montagnard, est donc un outil pertinent pour aborder la mise en action des équipes. Le parallèle entre le guide et le manager ne paraît alors plus si incongru et la haute montagne, plus si lointaine…
*crux : En alpinisme, le crux est la partie la plus difficile, délicate d'un chemin d'escalade
Blaise Agresti, auteur de Guider en premier de cordée (éditions Mardaga, 2022)