2030, vers la fin du CDI ?
C’est la question que Laurent Mathieu, journaliste et présentateur du JT à la RTBF, posait dans un documentaire éponyme. S’appuyant sur un rapport du Forum économique mondial, ce documentaire reste disponible sur Auvio jusqu’au 26 février.
Burnouts, pénuries de main d'œuvre, robotisation de nos entreprises, apparition de l'intelligence artificielle ou perte totale de sens… D’après Le rapport 2023 sur l’avenir de l’emploi, le monde du travail fait face aujourd'hui à de nombreux défis. Si bien qu'en 2030, si vous n'avez pas changé de job, c'est que c'est probablement votre job qui aura changé. Puisque l'adhésion à l'entreprise n'est plus une évidence ni pour les jeunes, ni pour les travailleurs plus chevronnés, comment travaillerons-nous en 2030 en Belgique ? Avec Tchic Tchac, entreprise de production de reportages et de documentaires, Laurent Mathieu est parti à la rencontre de celles et ceux qui ont changé radicalement de vie pour mieux travailler ou qui ont décidé de travailler moins pour retrouver un certain sens à leur vie. Voire des Belges qui ont décidé... de ne plus travailler du tout.
Comment avez-vous choisi les protagonistes de ce documentaire ?
Au début, nous avons défini des profils tels que des gens qui ont changé de job, qui ont fait un burnout, qui cumulent un temps plein sur quatre jours pour faire un autre travail et gagner plus d’argent et, après, nous avons trouvé ces personnes via nos propres contacts, par des appels à témoins. Nous sommes aussi passés par des entreprises, de grands organismes, des syndicats…
Quelles sont leurs particularités et leurs points communs ?
Les profils étaient très différents en termes d’âges, de métiers, de sexes… Mais tous avaient un rapport particulier au travail, un rapport qui avait évolué ces dernières années. Je ne suis pas sûr que l’on puisse faire un lien entre toutes ces personnes. Peut-on faire un lien entre Stéphanie, qui travaillait pour une grosse boite et a fait un burnout et ne se reconnaissait plus dans son travail, et Logan, qui bossait pour Deliveroo ? S’il y en a un, c’est que le travail les a rendus malades tous les deux…
Qu’est-ce qui a poussé ces personnes à quitter un « CDI confortable » pour se lancer en tant qu’indépendant ?
Ce n’est pas le cas de tout le monde. Dans le documentaire, il y a aussi un couple qui cherche un CDI. Mais il y a cette jeune femme qui avait un emploi stable de conseillère politique et qui a choisi de le quitter pour lancer une école de pole-dance parce qu’elle s’ennuyait et qu’elle avait besoin que son travail ait un sens. On a souvent vu revenir la question du sens dans le documentaire. Il y a parfois un écart entre les valeurs que les entreprises affichent en « front office », comme la coopération et la bienveillance, sans les pratiquer en interne. Cette différence entre le message et le quotidien au sein de l’entreprise a souvent été évoquée par nos interlocuteurs.
Va-t-on vraiment vers un mouvement de reconversion permanente ?
Je ne le crois pas, mais les jobs changent tellement avec les nouvelles technologies, que les travailleurs sont obligés de se reconvertir. Faire la même carrière en faisant exactement le même job pendant 40 ans, tout le monde est bien conscient aujourd’hui que ça n’existera plus. Même en restant dans le même job, il faut pouvoir se former en continu pour rester à la page.
À quel point les entreprises se soucient-elles aujourd’hui du bien-être au travail pour fidéliser leurs salariés ?
Est-ce que l’entreprise est le lieu du bien-être ? Beaucoup de gens que j’ai rencontrés voulaient surtout avoir un emploi où on leur laissait faire leur travail, où on les laissait progresser et où ils étaient payés pour faire ça de manière correcte, avec des horaires acceptables, où ils avaient une certaine forme d’autonomie et de responsabilité. Avant de mettre une table de ping-pong à la disposition des travailleurs et d’engager un « Chief Happiness Officer », les entreprises devraient simplifier le travail et s’assurer que leurs collaborateurs travaillent dans de bonnes conditions.
Comment se profilent les jeunes générations ? Veulent-elles vraiment moins travailler ? Qu’est-ce qui leur importe le plus : le sens du travail, le contrôle de leur vie, une juste rémunération, des conditions de travail particulières… ?
Je suis toujours réticent à répondre à ce genre de questions, parce que dans les jeunes générations il y a autant d’hommes et de femmes qui ont autant d’aspirations différentes que dans les générations précédentes. Dans le reportage, on interviewait, avec ses filles, une dame qui avait fait 40 ans de carrière au même endroit, dans une grande entreprise d’assurance. Ses filles disaient qu’elles ne feraient jamais ça ! Je crois qu’il y a quelque chose de générationnel qui a changé : aujourd’hui, le monde du travail est beaucoup plus flexible et les jeunes sont prêts à changer d’entreprise, à faire jouer la concurrence. Mais il reste autant de façons d’être par rapport au travail qu’il y a de Belges, tout simplement.
Un monde du travail façonné par les nouvelles technologies
Le documentaire « 2030, vers la fin du CDI ? » s’appuie sur Le rapport 2023 sur l’avenir de l’emploi, publié en mai dernier par le Forum économique mondial. Ce rapport explore l’évolution des emplois et des compétences et la façon dont les tendances socioéconomiques et technologiques façonneront le milieu du travail. Il indique notamment que « l’adoption de la technologie restera un moteur clé de la transformation des activités au cours des cinq prochaines années ». Il souligne aussi que plus 85 millions d’emplois dans le monde auront disparu d’ici 2030, mais que, parallèlement, 97 millions de nouveaux jobs seront créés.
La création, domaine de l’humain ?
Certains métiers sont déjà en train de disparaitre, remplacés par des robots. Il existe par exemple des magasins automatiques, sans caissières ou caissiers, ni vendeurs ou vendeuses. On estime qu’en 2030, 63% des profils recherchés nécessiteront une maîtrise du numérique. Comme les « dresseurs d’intelligence artificielle » dont Laurent Mathieu a rencontré un spécimen. Thierry Lechanteur est photographe et illustrateur. Il utilise l’intelligence artificielle pour créer des images auxquelles il apporte son regard de professionnel. Son travail consiste à trouver les bons mots pour que l’IA produise l’image la plus adaptée à ses attentes. Tout l’art du dresseur est de faire sortir l’IA des rails dans lesquels tous les utilisateurs de cette IA la maintiennent. En ce sens, Thierry Lechanteur, persuadé de la plus-value de la création qui, insiste-t-il, reste du domaine de l’humain, ne craint pas l’obsolescence de son métier.
Alors que plus de 75% des entreprises interrogées par le Forum économique mondial envisagent d’adopter l’usage du big data, du cloud computing et de l’IA dans les cinq prochaines années, dans le documentaire diffusé en novembre sur la chaine publique, Marie-Kristine Vanbockestal, administratice générale du Forem, insiste sur l’importance de former et de spécialiser les travailleuses et travailleurs. Tant celles et ceux qui sont déjà en activité que celles et ceux qui arriveront sur le marché de l’emploi en 2030.