« Ne dites plus recherche d’emploi mais bien gestion de carrière »
(de gauche à droite) :
Olivier Hollander, Sales Academy Coordinator Executive Education à l'école de gestion HEC Liège ;
Vincent Giroul, Directeur de l’Espace Formation PME (EFP) ;
Richard Roucour, Directeur-adjoint de Technocité ;
Nadia Flauw, Directrice des Ressources Humaines chez NSI ;
Ophélie Colmant, Responsable de la gestion des formations et du développement des compétences à la Société Wallonne des Eaux (SWDE) ;
Derek d’Ursel, Directeur de Références.
La crise a impacté le monde de l’entreprise de différentes manières, l’obligeant à s’adapter et à se réinventer. Ça a notamment été le cas de la formation qui, si elle était déjà au cœur de la carrière professionnelle de nombreux employés, s’est retrouvée au premier plan et fortement modifiée à cause du Covid. Cours à distance, pratiques digitales, académies d’entreprises… Chaque entreprise s’est réorganisée pour un mieux. De leur côté, les apprenants ont aussi revu leurs priorités…
Le monde de l’entreprise a fortement évolué ces dernières années. De nombreux métiers, manuels, scientifiques ou techniques, ont subi de profondes mutations, entraînant un besoin de formation de plus en plus important. Le secteur de la construction, par exemple, connaît, depuis quelques années, une digitalisation croissante, tout comme celui des soins de santé. Comment s’adapter à cela ? Comment former le personnel et être attractif, en tant qu’entreprise, sur un marché hyper concurrentiel et changeant ? C’était l’enjeu du débat organisé récemment par Références sur le thème de la formation et de la carrière. Il a réuni Vincent Giroul, Directeur de l’Espace Formation PME (EFP) ; Ophélie Colmant, Responsable de la gestion des formations et du développement des compétences à la Société Wallonne des Eaux (SWDE) ; Richard Roucour, Directeur-adjoint de Technocité ; Nadia Flauw, Directrice des Ressources Humaines chez NSI ainsi qu’Olivier Hollander, Sales Academy Coordinator Executive Education à l’école de gestion HEC Liège.
Cet échange fut animé par Michel Royer, Journaliste et Derek d’Ursel, Directeur de Références.
Capacité d'adaptation des entreprises
Vincent Giroul, Directeur de l’Espace Formation PME (EFP), a d’emblée mis l’accent sur la capacité d’adaptation des entreprises qui ont su rebondir, malgré la crise. « Nous développons une offre de formation en alternance, avec une formation au centre et une autre très pratique en entreprise, ce qui permet une mise à jour des connaissances mais aussi de découvrir de nouvelles manières de travailler. Il est clair que l’environnement professionnel a changé. La notion d’initiative est importante, tout comme celle de créativité et de capacité d’adaptation. Les entreprises qui ont survécu à la crise sont celles qui ont pu évoluer et s’adapter. Cette capacité de se réinventer est essentielle », explique-t-il.
Au cœur de son offre, l’Espace Formation PME (EFP) propose une grande diversité de formations qui voient arriver, de plus en plus, de personnes en reconversion professionnelle. « Ils ont parfois 30 ou 40 ans et font le choix de revenir dans des dispositifs de formation », explique Vincent Giroul. « Pour nous, il est fondamental de projeter la personne dans un projet de formation et de vie intéressant. Aujourd’hui, on constate que les candidats veulent davantage de sens dans leur projet professionnel. Ils ne veulent pas juste un job mais bien que celui-ci ait du sens, selon leurs convictions et leurs valeurs », ajoute-t-il, mettant en avant un autre aspect de la formation, à savoir le partage.
« Avant, il y avait le compagnonnage qui aidait à développer les compétences mais qui était aussi le partage d’une passion. Aujourd’hui, la formation en alternance est un peu la version moderne du compagnonnage où il y a, bien sûr, des échanges entre les entrepreneurs et les apprenants, et entre les apprenants. Cette collaboration entre apprenants, durant la crise, a beaucoup manqué aux stagiaires qui ont envie d’apprendre ensemble et de partager une dynamique collective. On n’oublie donc certainement pas l’humain, y compris dans les apprentissages », note encore Vincent Giroul.
Vincent Giroul : "Les candidats veulent davantage de sens dans leur projet professionnel. Ils ne veulent pas juste un job mais bien que celui-ci ait du sens, selon leurs convictions et leurs valeurs"
L'humain au cœur de la formation
Le centre de compétences Technocité est actif, comme son nom l’indique, dans les TIC (Technologies de l'Information et de la Communication) et les ICC (Industries Culturelles et Créatives). Il s’adresse aux salariés des entreprises, aux enseignants, aux élèves dans les écoles mais aussi aux demandeurs d’emploi qui représentent environ 60% des stagiaires. Pour les salariés, par exemple, le centre propose de l’upskill (améliorer ses compétences), du reskill (requalification, nouvelles compétences) ou même du « cross skill » (la capacité à pouvoir bouger dans l’entreprise par rapport à une transversalité des compétences).
Pour garder le lien permanent entre les stagiaires et les formateurs, le centre a choisi de s’équiper de Discord, un outil de communication venu du monde du jeu vidéo, utilisé par de nombreux professeurs pour donner leurs cours et qui a même été l’application la plus téléchargée en France durant le confinement.
« En trois jours, durant le confinement, on a réussi à mettre à disposition des formateurs le matériel adéquat pour les cours à distance. L’important, c’était vraiment de remettre l’humain au cœur de la problématique de formation et que les solutions mises en place se rapprochent le plus possible du présentiel », explique Richard Roucour, Directeur-adjoint de Technocité, pour qui la « gestion » des apprenants a dû être revue. « On l’a dit, l’humain est primordial. On ne parle plus de processus de recherche d’emploi mais bien de gestion de carrière. On doit désormais aider les apprenants à faire une analyse d’où ils en sont au niveau de leurs compétences et vers quoi ils souhaitent aller. On a même engagé des coaches de carrière pour guider les apprenants ». Des apprenants qui peuvent ensuite passer par le centre d’entrepreneuriat mis en place par Technocité pour aider les diplômés à se lancer en tant qu’indépendant. Parce que c’est ça aussi la formation : une manière d’accroitre ses compétences et ses connaissances pour peut-être rebondir et s’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles.
Richard Roucour : "La formation est une manière d’accroitre ses compétences et ses connaissances pour peut-être rebondir et s’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles"
Des parcours d'insertion
De son côté, la SWDE (Société Wallonne des Eaux) mise également beaucoup sur la formation, en mettant notamment en place des parcours d’insertion. « On a, par exemple, dix nouveaux gestionnaires IT, qui reçoivent des modules de formation étalés sur deux ans, avec un examen au bout d’un an puis un autre à l’issue de la formation pour pérenniser le nouvel employé dans son job », note Ophélie Colmant, Responsable de la gestion des formations et du développement des compétences à la SWDE. « C’est une manière aussi pour nous d’intégrer les nouveaux membres du personnel dans l’équipe et d’uniformiser la formation. Je pense que c’est également motivant pour un nouveau salarié », ajoute-t-elle, précisant que si ce système de formation existe pour le personnel IT depuis quelques mois, il fonctionne depuis plusieurs années pour d’autres fonctions, notamment pour la maintenance et les exploitations de production.
Pour d’autres formations plus spécifiques, comme celle de fontainier, la SWDE s’est associée au Forem pour mener une opération « coup de poing » qui permet la formation de stagiaires, au Forem puis au sein de l’entreprise, avec, à la clé, la promesse d’engager sous CDI au moins 80% des personnes qui ont réussi la formation.
La crise sanitaire a également amené l’entreprise à mettre en place une plateforme de formation digitale qui n’existait pas auparavant.
Ophélie Colmant : "La crise sanitaire a également amené l’entreprise à mettre en place une plateforme de formation digitale qui n’existait pas auparavant"
12-13 métiers au cours d'une vie
Chez NSI, une entreprise de services informatiques, la formation fait clairement partie de la vie du salarié et de la gestion des compétences. « Dans les IT, les compétences deviennent vite obsolètes. On est face à une pénurie de développeurs, par exemple, et, parallèlement à ça, c’est difficile de faire cohabiter plusieurs générations car chacune est différente et a des attentes différentes », confie Nadia Flauw, DRH chez NSI. « La génération Y ne veut plus faire carrière mais cherche plutôt à avoir des compétences supplémentaires et à emmagasiner des informations. Quand ils ne se plaisent plus dans l’entreprise, ils partent. Ce qui les intéresse, c’est ce que l’entreprise va leur apprendre pour continuer à être performant. Ils vont faire 12-13 métiers au cours d’une vie dont une moitié qui n’existe pas encore ».
Dans le secteur d’activités de NSI, il est évidemment primordial que le personnel continue à se former.
« Nous devons maintenir les compétences de nos salariés car nous offrons des services aux clients ». Ce qui a poussé notamment à la création d’un référentiel métiers. « C’est une manière de montrer ce qu’on attend clairement de telle ou telle fonction mais aussi d’être en phase entre l’entreprise et le personnel et sa carrière. Nous sommes une entreprise qui a la chance de couvrir tous les métiers de l’IT, ce qui fait que quelqu’un qui rentre avec tel métier verra s’offrir à lui d’autres possibilités. Il y a beaucoup d’autoformation aussi ». NSI emploie actuellement quelque 860 personnes et en engage entre 100 et 125 chaque année.
Nadia Flauw : "Ce qui les intéresse, c’est ce que l’entreprise va leur apprendre pour continuer à être performant. Ils vont faire 12-13 métiers au cours d’une vie dont une moitié qui n’existe pas encore"
Génération « swipe »
Olivier Hollander, Sales Academy Coordinator Executive Education à l’école de gestion HEC Liège a notamment rappelé un constat de l’OCDE (Organisation de Coopération et Développement Economique) qui expliquait que si à la fin des années ’80, on se formait environ 2 fois au cours d’une carrière de 30 ans, on le fait environ 8 fois, en 2020, dans les métiers techniques. Pour lui, l’accélération technologique entraîne des comportements différents chez les jeunes diplômés d’aujourd’hui qu’il appelle la génération « swipe ».
Leurs formations ont aussi dû s’adapter à la crise du Covid, passant d’une version en présentiel à une version à distance mixte et hybride (synchrone et asynchrone). « On a constaté un taux d’acquisition plus faible qu’en présentiel mais aussi que les apprenants ont besoin de s’auto-évaluer avec d’autres participants et le prof, en présentiel », explique Olivier Hollander. Aujourd’hui, alors que la crise semble derrière nous se pose la question d’un retour en classe. Sera-t-il complet ou partiel ? « On constate une différence entre les générations. Les 35-40 ans veulent du présentiel pour leurs formations mais pas pour leur travail alors que les plus jeunes (génération « swipe ») expriment le besoin d’une formation à distance et du boulot en présentiel pour voir leurs collègues. C’est évidemment un défi pour les managers qui doivent concilier les deux, en sachant que ce sont les jeunes qui ont le pouvoir et les compétences ».
Bref, on le voit la crise sanitaire a remis en question de nombreux acquis. Entreprises et centres de formation ont dû s’organiser à distance tandis que les employés, eux, ont revu leurs priorités. La formation, elle, a pris un nouveau tournant et ce n’est probablement pas encore fini…
Olivier Hollander : "Les 35-40 ans veulent du présentiel pour leurs formations mais pas pour leur travail alors que les plus jeunes (génération « swipe ») expriment le besoin d’une formation à distance et du boulot en présentiel pour voir leurs collègues"