« Les étudiants ne cessent de nous challenger »
Per Agrell, Doyen de la Louvain School of Management (LSM). © AURORE DELSOIR
L’exigence des étudiants de la Louvain School of Management (LSM) est plurielle : non seulement vis-à-vis de l’enseignement qui leur est prodigué, mais aussi vis-à-vis des entreprises qui veulent les recruter. « La question du sens est devenue primordiale », assure Per Agrell, le doyen de la faculté de gestion de l’UCLouvain.
Le succès du débat organisé autour de Bertrand Piccard et Ilham Kadri ne trompe pas : les étudiants de la Louvain School of Management (LSM) sont préoccupés par l’impasse environnementale et veulent contribuer à en sortir. Doyen de la LSM, Per Agrell expose la manière dont l’institution qu’il dirige entend les préparer et les outiller afin qu’ils puissent contribuer à l’émergence d’une économie résolument plus qualitative.
Si on perçoit le management comme une manière de tirer le maximum de ressources limitées, n’est-on pas au cœur du sujet ?
Effectivement, et cela ne concerne d’ailleurs pas seulement les matières premières ou l’énergie, mais aussi les ressources humaines, notamment. La question qui se pose aujourd’hui est également : dans quel but ? Souvent dans celui de maximiser le profit, mais pas seulement. Nombre d’entreprises ou d’organisations ont adopté une finalité qui dépasse le seul souci de la valorisation et ambitionne aussi de maximiser le retour pour la société, pour les collaborateurs et les autres parties prenantes. Certains actionnaires veulent désormais recevoir en retour de leur investissement davantage qu’un dividende : la satisfaction de contribuer à une mission sociétalement utile.
Il n’empêche que l’économie linéaire, si décriée aujourd’hui, demeure prédominante…
Si on regarde la façon dont on fonctionne aujourd’hui, c’est vrai, c’est essentiellement linéaire. Mais la transition n’est pas évidente à mettre en place : il y a du retard, un manque de coordination dans toutes les dimensions de la transition, qui n’est d’ailleurs pas seulement de nature environnementale, mais aussi sociétale et digitale. Nous formons nos étudiants à appréhender cette complexité, pour qu’ils puissent se mobiliser et agir concrètement. Nous leur donnons les outils qui leur permettent d’ouvrir les yeux, de comprendre et de développer leur esprit critique, notamment vis-à-vis des entreprises qui n’évoluent pas vers davantage de circularité.
Partagez-vous le point de vue selon lequel, à la décroissance, il faut préférer une croissance nettement plus qualitative ?
Je suis parfaitement aligné avec Bertrand Piccard à ce sujet. La décroissance n’est pas un concept pertinent, ni socialement acceptable, notamment vis-à-vis des attentes dans d’autres régions du monde, en Inde, en Afrique, en Amérique latine notamment, qui ne peuvent évidemment pas s’en satisfaire dès lors que les besoins de leurs populations restent criants. Une croissance plus qualitative, en revanche, est urgente : nous devons trouver les moyens de générer des produits et services plus durables, de meilleure qualité, dans le cadre d’une économie moins dispendieuse et plus circulaire. Les crises sanitaires et climatiques servent de révélateurs, renforçant la volonté d’une partie de la population de consommer de manière plus locale, d’acheter des produits à plus haute valeur ajoutée.
Comment vos étudiants appréhendent-ils ces défis ?
Cela vit très fort dans nos auditoires : notre enseignement est challengé, ce qui est une excellente chose. Ils ont par exemple critiqué le fait que la transition environnementale ne fasse pas l’objet d’une orientation en tant que telle : nous ouvrons donc l’an prochain une option en économie de l’environnement et des ressources. Il ne s’agira pas de survoler le sujet de manière « intellectuelle », mais bien de l’aborder en profondeur, au même titre que le marketing ou la finance par exemple. Nos étudiants veulent, en cette matière également, être solidement préparés, disposer du bagage et des outils qui leur permettront d’agir au sein des entreprises ou organisations qu’ils vont rejoindre, ou en tant qu’entrepreneurs. Nous travaillons aussi étroitement avec les entreprises, et cela découle sur des initiatives très intéressantes comme la confrontation des étudiants, en première année de master, à des défis très concrets. Nous lançons l’an prochain le « LSM Consulting Project », en première année du master en sciences de gestion, qui leur permettra de réfléchir, avec les entreprises, à la manière d’innover pour construire le monde de demain. Je le répète : les étudiants sont en demande, ils veulent comprendre, et agir en ce sens.
Vos étudiants sont-ils aussi exigeants vis-à-vis des entreprises ?
C’est très frappant de constater à quel point les entreprises, désormais, doivent soigner leur discours avant de venir se présenter. Il ne s’agit évidemment pas que de marketing : les étudiants veulent comprendre la mission de l’entreprise ou de l’organisation, sa raison d’être, sa valeur ajoutée pour eux-mêmes et pour la société. Nous travaillons d’ailleurs avec certains recruteurs afin de les aider à se présenter, car tous n’ont pas encore entrepris ce travail, ou ne savent pas comment le communiquer. Il faut aussi constater que, dans cette bataille en vue de s’attirer les talents, certains secteurs qui autrefois avaient bonne réputation sont beaucoup moins prisés : la crise financière est passée par là, puis la crise sanitaire, et nous sommes au-devant de défis énormes sur le plan environnemental. Les étudiants en sont très conscients, et sont d’autant moins prêts à accepter n’importe quel emploi qu’ils ont envie de pouvoir changer les choses et de valoriser leur contribution.