«Le bonheur, ce n’est pas un drink le vendredi avec les collègues»
«Le monde de l’entreprise, c’est de l’inconfort. Mais pour supporter cet inconfort, il faut être dans le bonheur»: tel est le credo de Salvatore Curaba, fondateur d’une société informatique, qui affirme avoir une «immense confiance dans la nature humaine.»
Qui sera sacré «Best Work Place Belgium 2019»? Après avoir raflé le prix quatre années d’affilée, Salvatore Curaba compte bien que EASI, l’entreprise de solutions informatiques qu’il a fondée il y a vingt ans, rempile pour une cinquième récompense. En misant chaque jour sur un principe à la mode: le bien-être au travail. Et en l’affirmant haut et clair: à ses yeux, le bonheur, c’est la clé.
Les cinq choses essentielles pour qu’un collaborateur soit heureux au travail?
La reconnaissance, l’amour bienveillant, la mission partagée, l’autonomie et la transparence, la communication. C’est comme dans un couple: s’il n’y a plus de compliments, de liberté, plus de communication, pas de projet commun et pas d’amour, il n’y a plus rien qui marche. Tous les ingrédients sont importants. C’est exactement la même chose dans l’éducation des enfants, entre des amis et dans les relations professionnelles. Et le bonheur, c’est le but ultime de tous, je crois. C’est un bon moteur.
Comment trouver le juste équilibre entre libertés et responsabilités?
Je pense que ça s’installe naturellement. Si on est bienveillant avec un collaborateur, qu’on lui laisse une certaine autonomie, à condition qu’on sente qu’il a le niveau, dans neuf cas sur dix, ça se passera bien. Personnellement j’ai une immense confiance en la nature humaine. Le naturel, c’est d’être responsable, d’être positif. Et quand on est face à quelqu’un qui n’est pas dans cette démarche, il faut s’y intéresser, tenter de comprendre pourquoi. Maintenant, au sein de l’entreprise, c’est difficile à gérer. Certains auront la franchise de parler de leurs problèmes, d’annoncer qu’ils connaissent une période moins facile, et quand c’est le cas, on doit être à l’écoute. J’essaie d’être attentif à tous ces signes. Et quand c’est flagrant, on n’hésite pas à faire appel à un coach. Peut-être qu’on devrait mettre en place une plus grande philosophie du partage entre les collaborateurs et leurs managers, d’ailleurs… Parce que les problèmes de la vie privée deviennent naturellement des problèmes au travail, je ne fais pas de distinction entre les deux sphères.
>> Toutes nos offres d'emploi dans les métiers de l'IT
N’y a-t-il pas un risque de «must be happy», poussant certains collaborateurs à faire semblant?
Etre heureux ce n’est pas être toujours très souriant et s’amuser. Le bonheur, c’est de dire «je ne me pose pas de questions sur ma vie, je suis bien, je suis entouré, quand c’est difficile ce n’est pas grave parce que je suis soutenu, je peux me projeter dans le futur, on me demande de travailler beaucoup mais on ne profite pas de moi, je sais pourquoi je le fais!» C’est ça le bonheur. Ce n’est pas un drink le vendredi avec les collègues, le côté sympa des fruits gratuits à la cafétéria et un sourire vissé sur le visage.
Est-ce que parfois les besoins urgents ne doivent pas secouer le confort?
Le bonheur, ce n’est pas le confort! Le monde de l’entreprise, c’est de l’inconfort. Mais pour supporter cet inconfort, il faut être dans le bonheur. C’est tellement difficile, il y a tellement de pression, que s’il n’y a pas le bonheur, on ne résiste pas, on ne tient pas le coup, quel que soit le métier. Maintenant, l’intérêt général prime toujours sur l’intérêt individuel. D’abord on pense à l’entreprise, et puis on se concentre sur son intérêt personnel. La personne doit comprendre qu’on veut son bien, mais pas au détriment de l’entité générale. Et là, dès que le collaborateur se sent important, qu’il sait qu’il joue un rôle essentiel, cela suffit. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures.
Comment repérer les personnes qui pourront intégrer votre philosophie lors d’un recrutement?
Il y a une part énorme de feeling. Il y a évidemment le screening du CV et certains réflexes RH traditionnels, mais les personnes qui recrutent sont complètement en phase avec notre ADN. Avec quelques questions plutôt simples, on arrive assez bien à cerner les profils. Et puis, par la suite, les personnes présélectionnées rencontrent le manager avec lequel elles seront éventuellement amenées à travailler. C’est une étape importante, il faut qu’il y ait un «fit» entre eux. Si ça ne marche pas à cette étape-là, le manager doit expliquer pourquoi il n’a pas été convaincu, pour qu’à l’avenir le RH puisse être encore plus performant. Maintenant, on se trompe encore trop souvent…